Ce texte paru sur le site autrichien
Futurezone.at s’intitule
“Dieu et l’ordinateur”
et relève du genre de la Glose, une forme de chronique compilant
plusieurs idées en apparence sans référence et en multipliant les
sous-entendus plus ou moins critiques à l’actualité. Elle permet souvent
d’exprimer une réflexion subjective dans une culture qui se méfie
beaucoup du journalisme d’opinion.
“Autrefois, le magistère moral du Vatican sur la technologie ne
pouvait être remis en cause. Eugen Sänger, pionnier de la navigation
spatiale, l’exprimait ainsi dans un livre: « En 1956, dans un communiqué
officiel à destination des participants au congrès international
d’aéronautique de Rome, le pape Pie XII a répondu à la question du sens
de telles entreprises :
“Le seigneur, qui a déposé dans le cœur des
hommes le désir insatiable du Savoir, n’a pas l’intention de limiter la
soif de conquête des humains ».”
En 2010, reprend Glaser, au sujet de la confession en ligne,
l’archevêque de Cologne, Joachim Meisner répondait « c’est impossible,
elle doit avoir lieu en face à face ». Mais au 21e siècle les choses
vont vite, poursuit Glaser. Depuis,
une application catholique du nom de
“Confession” a reçu la bénédiction du Clergé américain.
Pour les fans d’Apple, la question de la Foi a d’abord été de l’ordre
de l’ironie. On parlait de “Mac-évangélistes”. On parlait des Sermons
sur la Montagne pour désigner les conférences de Steve Job et on parlait
aussi de la vénération cultuelle des appareils de la marque. Mais le
sujet est devenu progressivement plus sérieux. Aujourd’hui, beaucoup
affichent une vraie croyance en Apple.
L’un des grands temples d’Apple, l’Apple Store de New York
Dans
“Sans soleil”,
le film de Chris Marker, le narrateur commente une exposition de
trésors du musée du Vatican, qui sont exhibés derrière des vitres
blindées dans un centre commercial à Tokyo. Ce narrateur soupçonne
l’intérêt des visiteurs de relever de l’espionnage industriel et imagine
que les Japonais préparent la sortie prochaine d’une version plus
performante et bon marché du catholicisme. Cela a bien eu lieu, mais pas
au Japon : à Cupertino, au quartier général d’Apple.
Lorsqu’on observe un humain assis à un écran d’ordinateur, une autre
image surgit immédiatement – celle d’un individu se recueillant devant
un autel domestique. Un ordinateur n’est pas un objet ordinaire, c’est
un objet de culte au sens le plus dramatique du terme. La ferveur et la
motivation fanatique parfois éprouvées par l’utilisateur ont une
dimension profondément spirituelle. Dans aucune autre situation, on
retrouve un tel dévouement inconditionnel, une extase aussi douloureuse,
à part peut-être quand apparait la Vierge ou quand on fraude le fisc.
Devant nous ou même au creux de nos mains, ces appareils électroniques
sont autant de confessionnaux en puissance.
Ces dernières années, les
églises traditionnelles, trop rigides et impuissantes, ont abandonné la
piété au numérique.
En 1977, le graphiste
Rob Janoff
a créé le logo Apple tel que nous le connaissons aujourd’hui – les
contours d’une pomme dans laquelle quelqu’un a croqué. Avec ce coup de
dent, Janoff voulait simplement éviter que l’on prenne cette pomme pour
une tomate. En anglais, cette bouchée de pomme manquante sous-entend un
jeu de mots : mordre –
to bite – se prononce exactement comme
byte,
un bit. Mais
c’est la référence biblique qui a finalement pris le
dessus : la pomme croquée symbolise le fruit interdit de l’arbre de la
connaissance, dont l’aspect appétissant a permis au serpent de tenter
Adam et Eve. La forme du serpent fait aussi partie du champ d’expérience
du numérique – je pense ici aux longues files d’attente qui ondulent
interminablement et pacifiquement devant les Apple-Store de cette
planète, à chaque fois qu’une nouveauté est commercialisée.
Grâce à l’imagerie médicale, les recherches de l’expert américain en marketing,
Martin Lindstrom,
font apparaitre que
lorsque des consommateurs voient des logos de
marques, leur activité cérébrale est identique à celle des religieuses
qui pensent à Dieu. C’est d’ailleurs l’une d’entre elles, la sœur Judith
Zoebelein, qui est l’experte auprès du Pape sur les questions liées à
Internet. C’est elle qui est à l’origine de l’installation du premier
serveur dans les caves du Vatican, serveur qui porte le nom de
l’archange messager Gabriel. Quant au pare-feu du Vatican, il porte
celui de L’Ange-Gardien Michel et l’Intranet se prénomme Raphaël, comme
l’archange qui œuvrait, lui aussi, dans le secret.”
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte (
@xporte), producteur de l’émission
Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.